De par les corpus qu’il recueille et les outils d’analyse qu’il développe, l’OCI est en mesure d’évaluer les retombées médiatiques d’une campagne de communication. L’exemple qui suit est une analyse d’une manifestation historique au Québec : « Colère générale contre le gouvernement libéral ». Elle fut organisée par la « Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics », qui regroupe près de 140 organisations du Québec (communautaires, étudiantes, syndicales, féministes, populaires et écologistes). Elle occasionna l’un des affrontements les plus violents entre manifestants et forces policières dans l’histoire récente du Québec.

La couverture médiatique de l’activité fut imposante et représenta un fort pourcentage de l’actualité pendant quelques jours comme le démontre ce tableau comparant le nombre d’articles portant sur l’activité de la Coalition au nombre d’articles total recueilli par l’OCI.

tableau comparant le nombre d’articles portant sur l’activité de la Coalition au nombre d’articles total recueilli par l’OCI

Sur le strict plan de la visibilité de l’activité, il est difficile d’imaginer une meilleure couverture pour une activité militante. Le samedi 5 mai, près de 10 % de toutes les nouvelles recueillies par notre système ont été consacrées à cette manifestation et près de 7 % le dimanche 6 mai. L’activité demeura plusieurs jours dans les médias québécois représentant entre 1 % et 2 % des contenus publiés du 7 au 11 mai.

Entre le 4 et le 11 mai, près de 300 contenus médias reliés à cette activité ont été enregistrés dans le système générant au total plus de 40 000 partages sur Facebook et plus de 3 000 sur Twitter. Autant dans les grands médias que sur les réseaux sociaux, la manifestation de la Coalition fut la nouvelle la plus importante au Québec pendant au moins 48 heures.

L’activité de la Coalition représente donc un succès de visibilité indéniable, mais dans quelle mesure les projecteurs ont-ils été braqués sur les aspects violents de la manifestation plutôt que sur les revendications et les propositions de la Coalition? Pour répondre à cette question, il semble important de distinguer la visibilité qu’a eue l’émeute de celle qu’a obtenue le message de la Coalition et la cause qu’elle défend. Des quelque 300 contenus médiatiques qui furent diffusés à propos de l’activité, seulement une douzaine mentionnèrent le mot « tarification », l’enjeu principal de l’activité de la Coalition. Notre analyse s’attardera donc plutôt à ce corpus de nouvelles obtenu en isolant les contenus présentant au moins une occurrence du mot « tarification ». Voici le schéma de la circulation de l’information pour ce groupe de nouvelles du 4 au 11 mai.

schéma de la circulation de l’information - occurrence du mot « tarification »

Outre, le faible nombre de nouvelles mentionnant le terme « tarification », le schéma de la circulation indique en plus qu’au plus fort de la couverture médiatique, les 5 et 6 mai, période ou plus de 150 contenus furent publiés au sujet de l’activité de la Coalition, seulement deux mentionnèrent le terme « tarification ». De plus, à la lecture des articles publiés, on se rend compte que le terme « tarification » n’est présent que parce qu’on y nomme la « Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics » en tant qu’organisatrice de l’activité. Aucun de ces articles n’a pour sujet la tarification des services publics, la violence des affrontements entre manifestants et policiers l’éclipsant complètement. À ce chapitre, le titre du communiqué publié le 8 mai par un des membres de la Coalition résume à lui seul la place qu’aura pris la violence des actes lors de la manifestation au détriment du message de la Coalition : « Manifestation au Conseil général du Parti libéral du Québec à Victoriaville – Un message étouffé par les gaz ».

En résumé, malgré une forte couverture, l’enjeu défendu par la Coalition, la tarification des services publics, n’a pas été mis de l’avant dans les médias qui se concentrèrent plutôt sur la violence des actes commis durant l’émeute. À ce chapitre, suite à cette couverture médiatique, il serait difficile d’imaginer que le public soit plus sensible aux dangers de la tarification des services publics décriés par la Coalition et encore moins aux solutions que cette dernière propose en matière de gestion des fonds publics.

Par contre, dans son objectif de manifester de la colère contre le parti libéral, on peut dire que la Coalition n’a pas échoué, même si elle a été dépassée par les événements. D’ailleurs, au niveau des communications, elle a attendu au 9 mai, 5 jours après l’activité, avant de publier un nouveau communiqué, ne pouvant ainsi espérer avoir une influence sur la couverture médiatique au plus fort de celle-ci les 5 et 6 mai.

L’emprise médiatique de la manifestation de Victoriaville sur l’actualité a pu nuire aux relations publiques du PLQ autour de son conseil général. Les conclusions et le message général du Parti libéral suite à son conseil auraient probablement obtenu plus d’attention des médias et du public, n’eût été l’activité organisée par la Coalition. Au niveau de l’agenda-setting, on peut parler d’une demi-victoire, car, bien que la Coalition n’ait pas réussi à faire passer son message auprès de la population, son activité a pu contribuer à bloquer celui du Parti libéral. Le public aura aussi pu mesurer l’intensité de la colère d’une partie de la population vis-à-vis ce parti et jusqu’où certains manifestants étaient prêts à aller.

Références :

Analyse complète :

Rocheleau, S. (2012). Tactiques de communication et retombées médiatiques de la manifestation « Colère générale contre le gouvernement libéral ». Commposite, 15(2), 33–47.

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